Atomisation Sociale et dématérialisation relationnelle.
-Notre société de consommation a développée à outrance tout ce qui peut
conforter notre bien-être, nos loisirs, attiser nos convoitises, et encourager
notre désir de posséder; on peut aisément observer notre attitude consumériste et
nos fonctionnements au sein d’une société basées sur le « pouvoir
d’achat », qui reste sans doute le principal moteur de notre modèle économique.
Soulignons que le besoin de posséder est devenu épidémique, même parmi les plus
modestes d’entre nous.
Il en résulte des attitudes qui influencent fortement notre vie
relationnelle; individualisme, égocentrisme, nombrilisme, indifférence, etc…
Nous sommes impactés bien sûr par la société consumériste et possessive
que nous venons d’évoquer. L’atomisation sociale (nous détaillerons ce mot plus
loin) qui résulte de ce modèle de société est également perceptible au sein de
nos relations.
Si on remarque encore peu cette désagrégation relationnelle, pourtant en
accélération constante, c’est qu’elle suit parfaitement la courbe des
changements de paradigmes sociétaux et relationnels : Certains Pays, comme
le Danemark, l’on comprit, et on mit en place des programmes scolaires basé sur
l’écologie relationnelle, et ceci dès l’âge de 6 ans. On peut largement faire
une comparaison entre nos sociétés actuelles, ou le délitement relationnel
devient la norme, et les formes de relations traditionnelles du passé :
Avant les deux guerres mondiales, au sein d’un village, d’un quartier,
les habitants se connaissaient tous, fréquentaient généralement les mêmes lieux,
la même église; le marché (ou s’effectuait les transactions entre habitants),
le lavoir (où les femmes se retrouvaient pour laver le linge), le four à pain,
étaient souvent partagés par tous les habitants d’un village. Idem pour le
travail aux champs, l’atelier pour ceux qui vivaient en ville, etc.. Il
s’agissait de lieux de partages au quotidien ou les liens se tissaient
automatiquement, par nécessité, que ce soit au travers les ententes ou les
conflits à résoudre.
De plus, le partage des outils
(certains villages ne possédaient qu’un char à bœuf et un four à pain pour tous
les habitants, ou un point d’eau potable collectif commun), l’entraide
indispensable à la survie, ramenait à un contact social permanent. Sans parler
des innombrables fêtes qui rythmaient la vie de nos ancêtres, en plus des
enterrements, mariages et autres baptêmes.
Cette promiscuité, « subie » souvent
conflictuelle, favorisait en tout cas les confrontations entre les membres
d’une même communauté humaine. C’est dans ce type d’espace restreint, dans
cette intimité sociale que se sont élaborés les échanges humains (au sein du
clan, tribu, village, nation, etc.) et ceci depuis la nuit des temps. Or, c’est
bien la confrontation avec l’autre qui permet un cheminement exigeant des
efforts d’adaptation, de souplesse, de pardon, d’ouverture, de remise en cause
personnelle et d’acceptation d’autrui. Un proverbe de l’antiquité soulignait déjà la
dynamique que nous venons d’évoquer : « Le fer aiguise le fer, la confrontation avec autrui affine
l’esprit de l’homme. »
Sinon, l’entraide et la survie ne fonctionne pas, ou
difficilement. C’est d’ailleurs ce qui arrivait régulièrement ; On ne peut
donc pas réduire le passé à une image d’Épinal qui idéaliserait les relations
qu’entretenaient entre eux nos ancêtres : ils vivaient de nombreux
rapports de force et autres conflits de promiscuité. C’est bien pour cela que
nos sociétés actuelles, ou tout est fait pour favoriser l’individualisme, nous
donne l’illusion d’un meilleur « confort » relationnel. Il n’en est
rien ; De par le passé, le tissu social, bon gré mal gré, était plus étroitement
lié que maintenant : Il favorisait en tout cas les choix vitaux entre les
divers chemins relationnels que nous pouvons emprunter : acceptation de l’autre
ou rejet ; amour ou amertume ; partage ou égoïsme, pardon ou rancœur, respect
ou mépris de l’autre, etc.
S’ouvrir à la différence de
l’autre passe par ce chemin de confrontation. Même si ce chemin n’est pas
toujours vécu dans la « zone de confort » relationnelle habituelle, tel que
nous la cultivons actuellement.
Le progrès nous a permis de vivre indépendamment les uns des autres.
Certains besoins communautaires ne sont plus d’actualités. Nous n’avons plus
besoin d’autrui pour fonctionner de façon pratique : Pas de lavoir à partager,
ni de four à pain, ni de puit collectif, ou autre objet favorisant la mise en
commun. Chacun pour soi ; chacun sa machine à laver, son automobile, son
portable, son écran « perso »; etc.. Donc pas de partage qui favoriserait
l’intensité de nos échanges ! Certes, cela évite bien des disputes et des
confrontations, souvent douloureuses. Du coup, les autres ne sont là que pour
partager nos rapports sociaux, soigneusement filtrés, que l’on peut modifier à
l’envie ( « zappage relationnel »)…
Est-ce que nos relations actuelles possèdent encore suffisamment d’intensité
pour prétendre à l’authenticité ? Je ne parle pas de l’habileté relationnelle
qui est devenu de plus en plus élaborée, permettant de rendre plus
« agréable » nos rapports humains. Habileté relationnelle que nous
avons largement tendance à confondre avec la véritable authenticité, celle qui est
maintenant évoquée par de nombreux auteurs ( par exemple Thomas d’ Ansembourg).
La différence avec les modes de partage vécu par nos ancêtres et notre
modèle sociétal consumériste en dit long sur la distance parcourue. L’intensité de l’implication communautaire,
tel qu’elle était vécue il y a encore un peu plus d’un siècle, a tout simplement
disparue. Et cette distanciation ne fait
que s’accentuer avec le temps qui passe, sans que nous en ayons une perception
précise.
L’individualisme et la sécularisation de nos sociétés post-modernes sont passés par là. Rajoutons à cela que le stress, l’activisme, l’obligation d’être compétent et efficaces dans ce que nous entreprenons, le regard critique de notre entourage, nous contraints encore un peu plus à vivre distanciés les uns des autres. L’anonymat qui résulte de ces faits de société se propage au cœur même de notre vie familiale, professionnelle.. On retrouve cette force d’inertie relationnelle au sein même des sphères institutionnelles, éducatives, politiques, ecclésiales, associatives..etc.
L'atomisation sociale est un terme utilisé pour décrire un phénomène où les individus sont de plus en plus isolés les uns des autres et où les liens sociaux se désagrègent rapidement. Elle se produit aussi bien au sein des relations individuelles qu’aux niveaux des relations collectives. La sociologie la définie comme tel : « l’atomisation sociale est souvent associée à l'urbanisation, à la croissance des médias et à l'individualisme croissant. Les effets de l'atomisation sociale peuvent inclure une augmentation de la solitude, de l'anxiété et de la dépression, ainsi qu'une diminution de la confiance en soi et de la participation citoyenne. Les conséquences négatives sur les individus se répercutent sur la société dans son ensemble. »
Bien sûr, on ne peut dissocier ce phénomène de celui de la dématérialisation relationnelle, notion qui commence à être évoquée :
Cette dématérialisation relationnelle se concrétise via nos interactions numériques (réseaux sociaux, messageries électroniques, appels vidéos, etc…). Cette façon de séquencer et de « filtrer » nos relations via internet va également impacter ce qui restent de nos liens sociaux « traditionnels » ; ceux-ci se désagrègent de façon significative, élargissant un peu plus le gouffre relationnel qui nous sépare les uns des autres. Au fur et à mesure de ce processus, nos dysfonctionnements relationnels, non conscientisés par une saine confrontation, s’intensifie de façon significative. La « pollution » invisible qui s’en suit nous mène directement dans des impasses relationnelles dont il est, là aussi, difficile de prendre la mesure.
Les réseaux sociaux de notre post-modernité
commune illustrent parfaitement ce désir illusoire de vouloir « communiquer »
tout azimut les uns avec les autres, mais en évitant toute forme d’engagement
contraignant. Nous fréquentons ceux qui nous apportent du « bien-être », et
nous ignorons / zappons tout bonnement les autres, ceux qui nous irritent, ou
qui nous sont indifférents, ceux-là même qui pourrait justement remettre en
cause notre zone de confort relationnelle.
Il est à craindre que la distanciation
sociale soit bien plus avancée qu’on ne le pense ; le tissu social « traditionnel
», tel qu’il s’est construit jusqu’ici, se désintègre littéralement sous nos
pieds. Il est difficile de rafistoler des valeurs communes qui se désagrègent
au fur et à mesure qu’on essaie de les tisser ensemble.. on n’en a d’ailleurs «
plus le temps » ! ; le « filtrage » relationnel, et nos centaines ( !) d’amis
facebook nous illusionnent quant à la teneur de ce type de dématérialisation
relationnelle.
Il s’agit donc de prendre la mesure de ce vide
communautaire qui s’insinue dans nos vies, et de créer de véritables espaces de
parole, des groupes de partage capable de (re)créer les conditions d’une
relation à « cœur ouvert », en présentiel, pour se confronter au regard et à la
présence des autres. C'est là un des buts que poursuit la Ligue Vie & Santé depuis plusieurs décennies, au travers de ses ateliers d'écologie relationnelle, et de ses "marelles" de partage.